Ne pas se retrouver marginalisé de l’Europe de l’électricité

Auteur invité: Michael Frank*


Le réseau européen d’interconnexion est né en Suisse, plus précisément à Laufenbourg. Un peu plus de 60 ans plus tard, la Suisse risque de disparaître de la politique électrique européenne. En Europe, le marché intérieur de l’électricité est fortement optimisé. Dans ce contexte, la Suisse se voit reléguée au rang de pays tiers et en subit de plus en plus les conséquences. Plus une réglementation claire avec l’UE tarde à venir, plus nous perdons de liberté d’action.

Vidéo en allemand: 60 Jahre «Stern von Laufenburg»

Les capacités d’importation de la Suisse sont fortement restreintes depuis l’extérieur

Physiquement, la Suisse est plus intégrée dans le réseau européen interconnecté que tout autre pays. Elle fonctionne comme une plaque tournante de l’électricité au cœur de l’Europe: un accord sur l’électricité avec l’UE est extrêmement important pour notre pays – mais il est bloqué depuis des années. Comme on le sait, impossible en effet de commander uniquement l’accès égalitaire au marché intérieur européen de l’électricité: il faut avaler le menu entier, dont un plat est servi sous la forme d’un accord-cadre institutionnel.

Mais l’UE optimise en permanence le négoce d’électricité et les capacités transfrontalières des lignes. En l’absence d’accord sur l’électricité, la Suisse est exclue de ces optimisations. Or, être exclu de la partie où les flux de courant transfrontaliers sont optimisés et coordonnés est particulièrement délicat: au plus tard à partir de 2025, nos pays voisins devront réserver 70% des capacités transfrontalières pour le négoce entre les États membres de l’UE. Pour y parvenir, nos voisins délestent parfois leurs congestions de réseau internes au détriment des capacités d’exportation pour la Suisse. En d’autres termes, les capacités d’importation de la Suisse sont fortement restreintes depuis l’extérieur. L’UE ne tenant pas compte de manière adéquate de la Suisse dans ses calculs des capacités transfrontalières, les flux de courant non prévus vont en outre continuer de croître massivement. Pour maintenir alors la stabilité du réseau, la Suisse devra puiser dans ses précieuses réserves hydrauliques pour stabiliser le système au lieu de l’utiliser pour l’approvisionnement, réserves qui manqueront alors pendant l’hiver.

Il faut aussi s’attendre à subir des dommages économiques: l’hydraulique étant exclue de la participation égalitaire aux plates-formes de marché européennes, elle ne peut pas non plus mettre dans la balance sa flexibilité au niveau économique. Avec un accord, la Suisse aurait en effet dans sa manche un atout qu’elle pourrait jouer afin de compenser la production fluctuante en Europe. Selon l’EPFL, l’absence d’accord engendrerait, en Suisse, un déficit commercial pouvant atteindre un milliard de francs en 2030, ainsi que des coûts supplémentaires massifs pour les consommateurs.

L’UE optimise donc ses capacités et ses coûts de réseau, de même que son négoce, en dépit des répercussions négatives sur la sécurité d’approvisionnement, la sécurité du réseau et la stabilité du système de la Suisse. Et tout cela, notons-le, sans que notre pays n’ait voix au chapitre dans les organes européens compétents, là où les règles du jeu sont définies.

Le système fonctionne à l’échelle transfrontalière, européenne

Les opposants à l’accord-cadre mettent en garde contre une perte de souveraineté. Pour l’électricité, nous sommes dans le cas inverse: sans accord sur l’électricité, le contrôle et, partant, la souveraineté sur notre réseau à très haute tension nous échappent toujours plus. Ceux qui estiment qu’un accord sur l’électricité n’est pas nécessaire omettent le fait que l’UE évolue en continu et que s’en tenir au statu quo n’est pas réaliste. Des règles communes seront nécessaires quoi qu’il arrive – car le système fonctionne à l’échelle transfrontalière, européenne. On peut envisager des alternatives qui résoudraient une partie des problèmes, au moins techniquement. Mais là aussi, une concession de la part de l’UE est requise.

Faute de réglementation, nous serons marginalisés. Nous mettons en jeu la grande stabilité de notre réseau et de notre système de manière inconsidérée et réduisons à néant la valeur ajoutée que peut nous offrir l’hydraulique dans le contexte européen. Pour la Suisse, c’est l’absence d’accord sur l’électricité qui entraîne la perte de souveraineté. En revanche, avec un accord, nous serions en mesure de veiller à ne perdre ni le contrôle ni le pouvoir sur notre réseau à très haute tension.



Auteur invité

Michael Frank
Michael Frank*

Directeur de l'Association des entreprises électriques suisses AES

* Le dialogue est d’une importance cruciale pour Swissgrid. En effet, l’échange mutuelfacilite la compréhension et l’élargissement des connaissances. C'est pourquoi nous publions également sur le blog de Swissgrid des articles d'auteurs invités sur des sujets pertinents. Les opinions exprimées dans ces articles sont celles des auteurs et non celles de Swissgrid.


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